Chaque année, plus de 8000 nouveaux cas de cancer bronchique sont découverts en Belgique (environ 2/3 chez l’homme, avec une incidence croissante chez la femme). Le cancer bronchique reste malheureusement la première cause de décès par cancer chez l’homme et la seconde chez la femme, principalement en raison du stade avancé auquel il est régulièrement découvert.
Il s’agit du second cancer le plus fréquent chez l’homme après celui de la prostate, et du troisième chez la femme après le cancer mammaire et colique.
Pour rappel, on distingue deux grands types de cancer bronchique : le cancer bronchique à petites cellules (environ 20 %) et le cancer bronchique non à petites cellules (environ 80 %). Au sein de ce dernier groupe, on distingue encore les carcinomes épidermoïdes et les adénocarcinomes dont l’incidence progresse. Au cours des dernières années, la connaissance biologique des cancers a considérablement progressé, ce qui a permis d’une part de mieux différencier les types de tumeurs et d’autre part de développer des traitements aptes à bloquer spécifiquement des voies de signalisation au sein de la cellule néoplasique : c’est le domaine des thérapies ciblées. Nous connaissons beaucoup mieux aujourd’hui les altérations du génome impliquées dans la cancérogenèse, les mécanismes de transmission des signaux intracellulaires, du contrôle de la transcription des gènes, les mécanismes d’activation des récepteurs de facteurs de croissance, du contrôle du cycle cellulaire, de l’apoptose, de l’angiogenèse, de la dissémination métastatique, etc.
Dans les tumeurs bronchiques, environ la moitié présente des mutations responsables d’une activation oncogénique. En général, elles sont mutuellement exclusives. Ces mutations sont responsables au sein de la cellule néoplasique d’une voie d’addiction oncogénique mais qui est également son talon d’Achille : bloquer spécifique- ment cette voie apparait extrêmement efficace et permet de modifier considérablement le pronostic de ces patients. Néanmoins, ces mutations ne se rencontrent presqu’exclusivement dans les adénocarcinomes et chez des patients peu ou non-fumeurs. Au total, il faut considérer que seuls 10 à 15 % des patients en situation métastatique bénéficieront de ce type de traitement. L’intérêt d’identifier ces mutations réside également dans le profil de toxicité clairement plus favorable des thérapies ciblées par rapport à la chimiothérapie conventionnelle. Actuellement seules deux mutations font l’objet d’une thérapie ciblée accessible en pratique clinique : les mutations activatrices du récepteur EGF et la translocation ALK.
Environ 10 % des patients présentent une mutation de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor). Plusieurs inhibiteurs de la tyrosine kinase de l’EGFR -TKI- sont disponibles : le géfitinib (Iressa), l’erlotinib (Tarceva) et l’afatinib (Giotrif). La survie sans progression de ces patients a été modifiée de manière spectaculaire et la survie médiane a plus que doublé depuis leur utilisation. Les toxicités sont en général de faible amplitude et se traduisent sous la forme d’une éruption papulo-pustuleuse de type acnéiforme et d’une diarrhée vasomotrice. Il est exceptionnel que les patients soient hospitalisés pour ces effets secondaires à l’inverse de ceux rencontrés sous chimiothérapie (neutropénie fébrile, émésis,...). Malheureusement, après une stabilisation ou une réponse tumorale, les patients vont être confrontés à une reprise évolutive de leur cancer. Ceci est lié à l’apparition de nouvelles résistances rendant les TKI moins ou plus efficaces. Ces résistances commencent à être bien connues. La principale (50-60 %) implique une nouvelle mutation appelée T790M. Un nouveau TKI est en développement et sera bientôt commercialisé en raison de son efficacité et de sa (très) faible toxicité. Au GHDC, nous participons à une étude clinique de phase III évaluant ce traitement. Seuls trois centres de recherche sont ouverts en Belgique, les deux autres se situant en Région flamande.
Rechercher cette nouvelle mutation est parfois problématique puisqu’ il faut rebiopsier la tumeur dont l’accessibilité est parfois difficile. C’est pourquoi nous avons développé en partenariat avec l’Institut de Pathologie et de Génétique de Gosselies (IPG) un projet de recherche dans le but d’iden- tifier cette mutation (ainsi qu’un panel d’autres) sur des biopsies liquides, c’est- à-dire au moyen d’une simple prise de sang. Cela pourrait permettre dans un avenir pas si lointain d’identifier des mutations activatrices mais également de suivre des patients sous traitement de manière à adapter plus rapidement l’approche thérapeutique si la situation clinique le justifie...
Une autre source de résistance est l’apparition d’une amplification de cMET (20% environ). Dans le cadre de notre expertise reconnue en recherche clinique, nous allons devenir dans les prochains mois centre coordinateur pour la Wallonie pour le traitement de ces patients. En effet, ces anomalies peu fréquentes nécessitent de travailler en réseau pour permettre au maximum de patients de profiter des avancées scientifiques. L’étude comparera un inhibiteur spécifique de cette voie, délivré par voie orale, seul ou en association à l’erlotinib et comparé à un traitement standard de chimiothérapie.
Environ 3% des patients présentent cette anomalie moléculaire caractérisée par une translocation entre deux gènes, le gène ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase) et le gène EML4 responsables d’une activité tyrosine kinase permanente entrainant la prolifération des cellules tumorales, des modifications du cytosquelette, leur migration et leur survie. Cette anomalie a été découverte en 2007 et pas moins de trois ans plus tard, en 2010, un TKI, le crizotinib (Xalkori) démontrait sa supériorité majeure par rapport au traitement classique de chimiothérapie chez les patients porteurs de cette anomalie. Ceci permit dans le même temps de modifier considérablement leur pronostic. Depuis lors, de nombreux TKI plus sélectifs sont en cours d’évaluation. Actuellement, le crizotinib n’est remboursé qu’en seconde ligne (après échec de la chimiothérapie). Au GHdC, nous participons à des études cliniques évaluant ces nouveaux inhibiteurs, dont une permettant aux patients d’obtenir ce traitement en première ligne. Là encore, la tolérance au traitement est globalement très bonne.
Il existe une série d’autres anomalies moléculaires pour lesquelles il existe déjà des inhibiteurs efficaces comme pour ROS-1 (le crizotinib également) ou BRAF V600E (vemurafenib) par exemple. Ils ne sont pas encore disponibles en pratique clinique mais peuvent être obtenu pour certains dans le cadre d’un « medical need program » ouvert dans notre institution. Il existe également d’autres mutations pour lesquelles aucune molécule n’a pu démontrer d’efficacité significative à ce jour (KRAS, présent dans plus de 20% des cas).
Au total, l’avènement des thérapies ciblées révolutionne la prise en charge des patients porteurs de mutations spécifiques mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir dans la mesure où plus de 2/3 des patients sont diagnostiqués à un stade avancé et que la grande majorité ne présentent pas de mutation activatrice. Pour améliorer durablement et significativement le pronostic du cancer bronchique, cela passera inévitable- ment par de la prévention et singulièrement une lutte acharnée envers le tabagisme.